Economie

Industrie : peut-on questionner le modèle ?

Dans l’histoire moderne de nos sociétés, l’industrie a toujours été vue comme un levier de croissance. Dans un long article, The Economist décrit que cette vérité ne sonne plus vrai… Décryptage.

À la fin du XVIIIe siècle, le président Thomas Jefferson considérait l’agriculture comme la base économique d’une république autonome. Influencé par les physiocrates français qui voyaient l’agriculture comme le levier ultime de croissance, il croyait que le travail de la terre était la voie vers l’abondance. Au XXe siècle, le travail en usine avait hérité de ce rôle symbolique. Mais, comme l’agriculture avant lui, l’emploi manufacturier commence à décliner, ce qui soulève des interrogations sur ce modèle économique.

En effet, si l’on part de la base de réflexion de Braudel, les États-Unis constituent le point central des économies-monde, et cette position dominante du capitalisme mondial fait de cet espace, depuis des décennies, le chef de file des économies axées sur l’industrie. Du fordisme au New Deal, l’industrie américaine a toujours été ce levier de croissance et pourvoyeur d’emplois. Aujourd’hui, le constat, au demeurant amer, est que cette vision économique ne sonne plus vrai, selon une analyse publiée par le magazine The Economist. « Pendant des années, les politiciens et certains économistes ont lié le long déclin de l’industrie manufacturière à la stagnation des salaires, au dépérissement des villes et même à la crise des opioïdes. Rien que dans les années 2000, les États-Unis ont perdu près de 6 millions d’emplois dans le secteur manufacturier. Ce type d’emploi offrait souvent aux jeunes diplômés une voie vers une vie stable et tranquillement prospère. Il a soutenu des villes entières, valu à Pittsburgh le surnom de “ville de l’acier” et à Akron celui de “capitale mondiale du caoutchouc”, explique l’hebdo. Et d’ajouter : “Les emplois accessibles de la classe moyenne, ceux qui attiraient autrefois les foules aux portes des usines à l’apogée du fordisme américain, ont quasiment disparu. Selon notre analyse, les emplois les plus similaires aux emplois manufacturiers des années 1970 ne se trouvent pas dans les usines, désormais automatisées et à forte intensité de capital, mais dans les emplois d’électricien, de mécanicien ou de policier.” »

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Il faut d’ailleurs noter que ce constat inquiétant ne se vérifie pas seulement en Amérique. Même l’Allemagne, le Japon et la Corée du Sud, qui affichent d’importants excédents commerciaux pour les produits manufacturés, ont vu leur part de ces emplois diminuer régulièrement. La Chine a supprimé près de 20 millions d’emplois dans le secteur manufacturier entre 2013 et 2020, soit plus que l’ensemble de la main-d’œuvre manufacturière américaine. « À mesure que les pays s’enrichissent, l’automatisation augmente la production par travailleur, la consommation se déplace des biens vers les services et la production à forte intensité de main-d’œuvre est délocalisée », explique The Economist.

La fin de la croissance industrielle ?

The Economist réfute aussi l’idée qu’un important secteur industriel est indispensable à la croissance économique. Dans un monde où les économies nationales sont « ultra-spécialisées », tenter une réindustrialisation massive, à grands coups de subventions, serait inefficace. Mieux vaudrait donc, poursuit The Economist, que les pays « travaillent ensemble et commercent dans une économie ouverte et peu réglementée » au lieu de « protéger leur industrie nationale et de se disputer des emplois qui n’existent plus ». L’avenir s’éloigne encore davantage des usines. Sur le continent, où l’industrialisation est à son aube dans certains pays, ne faut-il pas tirer les leçons des erreurs des autres ? Pour un pays comme le Maroc, qui, ces dernières années, a fait de grands pas dans ce chantier et qui fait de l’industrie un levier de son économie, comment anticiper la décadence ? « Seul le brand building compte… il faut être propriétaire de marques… et les produire là où ça coûte moins cher. De plus, aujourd’hui, il faut dire que l’outil industriel importe peu. C’est le scale qui compte maintenant », nous confie Moncef Belkhayat, PDG de Dislog. Pour ce dernier, « aujourd’hui on est dans la plus-value du machine learning… l’IA est la plus grande révolution créatrice de valeur dans l’histoire de l’humanité. Ce qui est en train de se passer est incroyable. Notre système scolaire et universitaire doit s’y adapter rapidement ».

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De son côté, Zakaria Fahim, Managing Partner – BDO Maroc, appelle à un nouveau pacte industriel. « Le continent africain a une carte à jouer. Grâce à sa jeunesse, à ses écosystèmes entrepreneuriaux agiles (Hub Africa, SBAA…), et à ses savoirs traditionnels de sobriété. C’est ici que peut émerger un nouveau pacte productif : plus solidaire, circulaire, plus résilient. Plutôt que d’imiter les erreurs du Nord, bâtissons un modèle industriel africain, au service de la vie. Reconnectons l’économie à l’essentiel : la dignité, la communauté, la nature. »

En attendant, dans certains pays, le secteur manufacturier recule au profit des services, de la finance, du numérique. L’économie immatérielle (Tech, IA) devient le nouveau moteur de valeur. La question reste donc posée : les pays qui émergent doivent-ils revoir leur politique économique industrielle ?
En tout cas, la réalité des pays du Nord montre que le modèle du « tout-industrie » est en fin de cycle.

 
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